Une Coupe du monde a toujours été à mes yeux une épreuve mythique dont l’importance sportive reste sous-estimée en France. La deuxième place de Julien Épaillard fait désormais partie des grands exploits de l’équitation française. Un plaisir dont il ne faut pas se priver, même si le contexte – parfait techniquement – n’est pas celui que l’on espère pour un évènement sportif de cette envergure.
Le contexte géopolitique d’abord. Sans se lancer dans de grands débats, le sujet des Droits de l’homme reste toujours brûlant quand il s’agit de l’Arabie Saoudite. Mais est-ce en boycottant, comme l’ont fait certains médias, que l’on fera avancer la situation ? Le droit des femmes évolue : en quelques années, l’Arabie Saoudite est passée du Moyen Âge au milieu du XXe siècle. Déjà un grand pas. Et cette ouverture, notamment via le tourisme et l’organisation de grandes compétitions sportives, voulue par MBS, accélère visiblement les choses.
Qui sommes-nous alors pour donner des leçons en matière de Droits de l’homme et des femmes ? Ces dernières n’ont obtenu le droit de vote en France qu’en 1944, le droit de disposer de leur corps n’a été inscrit à la constitution que le mois dernier. Nous vivons dans un pays incapable d’empêcher un féminicide tous les trois jours et où il y a encore beaucoup de travail à faire en matière d’égalité salariale entre hommes et femmes. Nous vivons dans un pays où l’on assassine encore des prisonniers politiques, comme Yvan Colonna, dans nos prisons. Nous venons d’enterrer Robert Badinter, ce qui nous rappelle qu’en France, cela ne fait que 40 ans que la peine de mort est abolie et que l’homosexualité ne constitue plus un délit. L’Arabie Saoudite progresse, à son rythme - qui s’accélère- et avec ses traditions. Beaucoup de progrès restent à faire, assurément, mais beaucoup ont été déjà faits. Le symbole le plus marquant avait été l’autorisation de conduire accordée aux femmes. Mais ce que l’on sait moins, ou ce que l’on ne veut pas savoir, c’est qu’elles ont désormais une place de plus en plus prépondérante dans la vie professionnelle (30% de la population active) et ce, souvent à des postes de haut niveau comme Abeer AlAkel, directrice générale de la Commission Royale pour AlUla. Elles peuvent pratiquer tout sport en toute liberté (vestimentaire notamment si elles le souhaitent) et suivre les études qu’elles veulent, en Arabie Saoudite ou à l’étranger. Bref le progrès est en marche et ostraciser ce pays ne peut que ralentir cette tendance.
Dans le contexte, organiser une finale de Coupe du monde n’était pas forcément une mauvaise idée, sauf…
... qu’il manquait quelque chose à cette finale : une âme. Un public qui commence à s’intéresser aux sports équestres, un pays qui semble vouloir s’investir et investir dans la compétition équestre de haut niveau, avec le projet AlUla notamment, bien… mais de 1000 à 3000 spectateurs (selon les organisateurs…), c’est mieux qu’à Abu Dhabi (Ligue des nations) ou à Doha (LGCT), certes, mais franchement, ce n’est rien pour une finale de Coupe du monde. Alors oui, bien sûr, il faut que le public apprenne à apprécier le sport, à le connaître déjà, et quoi de mieux que les meilleurs cavaliers du monde pour apporter cette vitrine ? Mais cet « entre-soi » avait de quoi faire regretter le Scandinavium de Göteborg et ses 10 000 fans quotidiens, les Bercy des grands jours, les grandes finales de Genève et même de ’s-Hertogenbosch.
A Riyad, les installations étaient parfaites, l’organisation était parfaite, l’accueil était parfait, les épreuves étaient parfaites, les parcours de Frank Rothenberger étaient parfaits, la dotation, gonflée aux pétrodollars, était parfaite* (pour les cavaliers), cependant, à l’instar de la clim excessive, tout était froid. Rien entre les épreuves de la Coupe du monde, pas de salon à visiter, une ville particulièrement inintéressante à voir avec cet avantage d’avoir le temps de travailler entre les compétitions. Mais on était loin de ces diners conviviaux au marché aux poissons proposés par l’organisation de Göteborg, de ces visites touristiques de Genève, de ces réceptions somptueuses dans les dorures de la République à la mairie de Paris etc. La convivialité n’est plus de mise, il faudra sans doute s’y faire. Peut-être, sans doute, espérons en tout cas que Bâle inversera la tendance l’an prochain.
Toujours est-il qu’avec cette politique de l’intimisme, l’évènement a eu peu d’écho en dehors du microcosme. Aucune télévision non spécialisée en France, aucun média, autre qu’équestre, n’a relevé l’exploit de Julien Épaillard qui rejoint pourtant au panthéon français de la Coupe du monde de saut d’obstacles Pénélope Leprévost (une deuxième place à Las Vegas en 2015 que l’on a presque oubliée), Kevin Staut (troisième à Göteborg en 2013), Bruno Broucqsault, que Julien aurait bien aimé rejoindre au sommet d’un podium de Coupe du monde (Milan 2004), Roger-Yves Bost (inoubliable troisième à Göteborg en 1991 avec Norton de Rhuis), Pierre Durand (en 1990, à Dortmund, année où John Whitaker reprenait le titre aux Américains après dix années de disette pour l’Europe, et en 1988, à Göteborg encore avec Jappeloup, cinq mois avant sa médaille d’or de Séoul et également troisième en 1985 à Berlin, huit mois après sa déconvenue de Los Angeles) et enfin Philippe Rozier, en 1987, à Bercy, avec Jiva qui avait été si près, mais si loin de Katharine Burdsall qui montait à l’époque le premier cheval de l’histoire qui avait été acheté plus d’un million de dollars, The Natural.
Cinq noms et sept podiums seulement en quarante-cinq ans de Coupe du monde ! Julien Épaillard est le sixième et ne compte pas en rester là. En attendant, focus sur Paris 2024 : cette finale de Riyad lui a apporté des certitudes sur la solidité de Dubaï du Cèdre sur la durée d’un championnat, de la confiance et des kilomètres précieux au compteur sur la route de Versailles. Cette Coupe du monde n’a que du bon ? Henrik von Eckermann a fait le même pari avec son King Edward. Dans moins de cent jours, on saura si cette stratégie aura été la bonne.
*Ces pétrodollars ont permis une inflation généreuse de la dotation de la finale de saut d’obstacles qui a carrément doublé, passant de 1,3 à 2,6 millions d’euros. Générosité plus relative pour le dressage dont l’enveloppe totale est passée de 300 à 400 000 euros.
Ainsi, Henrik von Eckermann est reparti de Riyadh avec un chèque de 562 000 euros pour ses victoires à chacune des trois épreuves et au classement final de la Coupe du monde de saut d’obstacles. Julien Épaillard n’est pas rentré les poches vides non plus avec une cassette de 400 000 €.
À titre de comparaison, le vainqueur de Roland Garros 2023, Novak Djokovic, a empoché 2 300 000 € tandis que son challenger, le Norvégien Casper Ruud, a dû se « contenter » de la moitié, 1 150 000 euros !
Quant à Patrik Kittel, sa première Coupe du monde de dressage l’aura enrichi de… 88 709 euros !
Comments